Alors qu’il projetait d’équiper sa station d’épuration (STEP) d’Herbsheim-Benfeld en méthaniseur, pour produire du biogaz à partir de ses boues de traitement, le Syndicat des Eaux et de l’Assainissement d’Alsace-Moselle a eu l’idée d’introduire dans le process de la silphie, une plante fourragère méconnue. Résultat : le site fournit deux fois plus d’énergie qu’attendu.
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Une solution low tech inédite
Jusqu’ici, les petites stations de traitement des eaux usées étaient rarement dotées d’une unité de méthanisation. Elles ne produisaient pas assez de boues pour que ce soit économiquement viable. Mais, « avec la silphie, cela devient possible. Cette plante permet de produire deux fois plus de biogaz à partir de la même quantité de boues, s’enthousiasme Matthieu Bornert, chef de projets au Syndicat des eaux et de l’assainissement d’Alsace-Moselle (SDEA), qui a suivi le chantier de modernisation de la station. Certains agriculteurs l’ajoutaient déjà à leurs déchets organiques pour en booster la méthanisation. Mais c’est la première fois qu’on introduit ce co-substrat dans des boues d’épuration. » Le résultat est probant : en ajoutant 9 % de matière brute aux boues d’épuration, sous forme de silphie, la STEP d’Herbsheim-Benfeld produit 46 % de biogaz en plus. Inaugurée en mars 2024, elle peut injecter dans le réseau jusqu’à 3 300 MWh de biogaz, soit l’équivalent de ce que consomme un millier de foyers. La station utilisant 1 900 MWh d’électricité, elle est donc capable de produire plus d’énergie qu’elle n’en consomme.
Énergie verte et protection de la ressource en eau
Le SDEA intervient sur l’ensemble du cycle de l’eau. Il gère aussi bien l’assainissement-épuration des eaux usées que le traitement des eaux potables et la qualité des cours d’eau sur son bassin. Cela a joué sur le choix de la silphie parmi la vingtaine d’autres végétaux méthanogènes envisagés : en plus de booster la production d’une énergie verte, cette plante présente d’autres avantages écologiques. « Contrairement au maïs, la culture de la silphie ne nécessite que peu d’irrigation et presque pas d’intrants, explique Matthieu Bornert. En convaincant les agriculteurs locaux d’abandonner le maïs pour la silphie, le syndicat voulait aussi protéger durablement les aires de captage sensibles, c’est-à-dire toutes les surfaces de sols par lesquelles l’eau de pluie peut s’infiltrer jusqu’aux nappes phréatiques. » Cela devrait en outre limiter l’exposition de la population aux pesticides, éviter l’érosion des sols grâce à une meilleure couverture racinaire, développer la biodiversité et contribuer à l’adaptation de la filière agricole au changement climatique. En effet, la silphie est moins vulnérable aux sécheresses, fortes précipitations et gelées printanières. Des caractéristiques séduisantes pour l’ADEME et l’Agence de l’eau Rhin-Meuse qui ont sélectionné ce chantier parmi les lauréats de leur appel à projets conjoint, « Eau durable et énergie », en 2018.
Rémunérer le service rendu par les agriculteurs
La silphie a eu son heure de gloire au milieu du 20e siècle, comme plante fourragère. Mais elle a très vite été remplacée par le maïs, plus facile à planter et plus lucratif. Pour convaincre les agriculteurs de réenvisager la première option, il fallait être convaincant. Le SDEA a passé un contrat, pour une procédure d’achat innovante, avec 14 agriculteurs dans un rayon de 15 km autour de la station. « Pour qu’ils s’y retrouvent, nous avons proposé, non pas de les rémunérer à la quantité de silphie produite, mais à la surface de cultures converties, et ce pendant quinze ans, précise Matthieu Bornert. Nous ne voulions pas jouer sur les rendements, qui sont variables et dépendants des aléas climatiques, mais rémunérer une prestation environnementale : en arrêtant d’utiliser des intrants sur leurs parcelles, les exploitants rendent un service écologique continu, à l’année. C’est cela que nous payons, avec un prix indexé sur le revenu qu’aurait généré la culture du maïs. L’objectif était qu’ils ne perdent pas d’argent et gagnent en stabilité. » Un partenariat gagnant-gagnant qu’il a été possible de financer grâce aux revenus générés par la production de biogaz.